San-Antonio : commissaire de police, depuis peu directeur de la Police, auteur des livres relatant ses aventures : " Il se trouve que j'écris mes aventures et que beaucoup de gens me font l'amitié et l'honneur de les apprécier." (154).
Le lecteur ignore la date de naissance de San-Antonio, il pourrait le déduire
des éléments d'information suivants si le temps de la fiction était
le même que dans la vie : San-Antonio a 34 ans dans le numéro 19
de la série et vingt-cinq de moins que Pinaud
dans le numéro 22; sachant que Pinaud a 54 ans
dans le numéro 20... En outre, le commissaire est natif du premier décan
du Cancer, ascendant Sagittaire. San-Antonio perd son père alors qu'il
n'est qu'un enfant d'une dizaine d'années; sa mère, Félicie,
a alors 32 ans. La figure du père est de ce fait celle de l'Absent, et,
adulte, son fils s'en souvient comme d'un bon vivant, personnage attachant mais
un peu superficiel, amateurs de calembours et de chansons réalistes d'avant-guerre;
il le soupçonne d'avoir été un chaud lapin, et d'avoir trompé
sa femme à plusieurs reprises. Quoi qu'il en soit, cet orphelinat précoce
peut éclairer la relation d'amour très profonde qui unit le commissaire
à sa mère, avec qui il ne cessera jamais de vivre. Adolescent, Antoine
fera ses études secondaires au lycée de Saint-Germain-en-Laye.
Le passé proffessionnel de San-Antonio, avant qu'il entre dans la police, est connu du lecteur par bribes; il a travaillé dans une usine d'aviation, au titre d'ingénieur (100), ainsi que dans une agence de police privée. Au début de sacarrière littéraire, pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille pour le compte des services secrets britanniques; il répond dès lors au titre de commissaire (2). A cette époque, donc, les aventures littéraires de San-Antonio ne sont pas tout à fait contemporaines des années de parution des romans (début des années 50). Après la libération, il continue d'exercer auprès des services secrets, mais, naturellement, en France : "Le fait que je sois commissaire des services secrets ne les impressionne pas le moins du monde." (8). Un peu plus tard, ce titre devient "commissaire spécial". Il habite alors brièvement, avec sa mère, un pavillon à Neuilly; mais bientôt, et jusqu'à aujourd'hui, ce pavillon sera sis à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine).
Il est près de démissionner de la police une première fois
en 1966 (59). Il est nommé commissaire principal en 1969, et le demeure
jusqu'à une époque récente. A la suite d'une aventure où
il a le sentiment que sa hiérarchie a abusé de sa dignité
(86), il est sur le point de démissionner une deuxième fois; mais
il obtient pour prix de son maintien au sein de la police, un statut très
particulier. Après avoir donc feint de démissionner, Il fonde la
Paris Detective Agency (87), fausse agence de police privée qui continue
de dépendre secrètement du ministère de l'Intérieur.
Dans ce cadre, il bénéficie toutefois d'une plus grande liberté.
Ses collaborateurs Bérurier, Pinaud
et Mathias le secondent dans cette aventure pseudo-indépendante
qui durera jusqu'au numéro 108 de la série.
Après les mises à pieds successives d'Achille
et de Bérurier à la tête de la police,
San-Antonio obtient directement du président de la République un
nouveau statut spécial : il disposera d'une équipe ré duite
d'inspecteurs et de pouvoirs étendus pour mener à bien des missions
périlleuses, et rendra compte directement au président (117). Officiellement,
San-Antonio dirige un "comité spécial d'étude en vue d'une
réorganisation des structures de la Police, placé sous la seule
autorité " du président. L'équipe prendra ses quartiers dans
les locaux de la défunte Paris Détective Agency sur les Champs-Elysées,
"qui servent de baisodrome à quelques hauts fonctionnaires. San-Antonio,
c'est le nouveau Napo de la Maison Pouleman. Je viens d'accomplir mon dix-huitième
Brumaire en investissant l'Elysée pour en ressortir armée du document
qui fait de moi un Bayard super-extra ". (117).
La réhabilitation d'Achille au poste de directeur
de la Police met fin à cette expérience de franc-tireur (121). Son
destin manque alors de peu de prendre une voie inédite : il est chargé
par le gouvernement de tenter de succéder au Big Beetween, chef d'une organisation
mondiale occulte, à la puissance illimitée, indépendante
des Etats mais œuvrant pour les démocraties occidentales (122). Il y parvient
par défi, mais renonce à la succession, pour des raisons morales,
sitôt sa mission accomplie (123). San-Antonio réintègre donc
ses anciennes fonctions au sein de la Police. Or, conséquence d'un coup
d'éclat avec Achille et de la haine farouche
qui s'est établi entre Mathias et San-Antonio,
celui-ci démissionne cette fois réellement, et fonde, en compagnie
de Pinaud, Bérurier et
Blanc, également démissionnaires, l'Agence
de Protection (134). Il s'agit d'une officine privée dont les services
consistent à assurer la protection des intérêts privés
("convois de fonds, personnes menacées, industries aux techniques secrètes,
banques, personnalités politiques en déplacement, exposition de
joaillerie ", etc.) (135). L'ex-commissaire sera rappelé par Achille,
qui consent à faire amende honorable (137). Enfin, Achille
est limogé à nouveau et San-Antonio est promu directeur de la Police
à sa place (151).
Sur son aspect physique, le lecteur ne sait pas grand-chose de San-Antonio, sinon qu'il est très beau garçon, et que son pénis mesure "vingt-quatre centimètres " (137) de long. Une source assez ancienne le fait apparaître ainsi : " Je fais un mètre soixante-douze… je suis plutôt brun. " (23). Mais si rien ne vient démentir cette pigmentation, cette taille paraît en revanche un peu petite eu égard au poids du commissaire (quatre-vingt-dix kilos), à sa force physique (il tient tête à des malabars), et au fait qu'il sort, parfois, au bras de cover-girls longilignes. L'une des principales caractéristiques de San-Antonio est d'être un invétéré coureur de jupons, un collectionneur de conquêtes féminines : " Je peux vous annoncer à vue de naze : onze cents Parisiennes, dix-huit cultivatrices, cent deux mercières, douze Espagnoles, trois Anglaises, une boiteuse, une Cambodgienne, vingt-cinq négresses et une sexagénaire. (Elle avait un masque, c'était pendant le carnaval de Saint-Nom-la-Bretèche.) " (35). Ce palmarès n'étant pas récent, on pourrait facilement le multiplier par plus de deux (on notera ainsi qu'il dépasse largement les "mille et trois " conquêtes de Don Juan).
Même s'il s'en défend, le commissaire apparaît franchement
misogyne, et à cet égard, le point de vue des lectrices ne laisse
guère de doute. Reste que d'un point de vue masculin, San-Antonio est surtout
un misanthrope - ou plutôt un humaniste déçu. Bien sûr,
la carrière de San-Antonio est trop longue pour qu'on n'y décèle
pas une évolution de son caractère comme de ses opinions. Ainsi,
son anticonformisme semble s'exacerber au fil des ans, en même temps que
son très bourgeois goût du luxe (comme pour celui qu'il éprouve
pour les automobiles "de race " : MG puis Jaguar type E dans les années
60, Maserati dans les années 70 et 80, Mercedes 500 SL plus récemment).
Mais le commissaire n'est pas à un paradoxe près, et c'est ce qui
fait la complexité du personnage. En outre, il faut tenir compte que beaucoup
de ses propos sont volontairement exagérés. Son côté
hâbleur, son immodestie ("faut-il que je sois intelligent pour ne pas avoir
l'air vraiment con ! " (134)), irritants au premier abord, sont à prendre
le plus souvent comme l'expression paradoxale de sa pudeur. Il reste en tout cas
un être profondément moral, et ses défauts sont tous tempérés
par sa capacité à douter de tout (qui se manifeste le plus souvent
par sa propension à énoncer des certitudes contradictoires). Il
est peut-être avant tout un écorché vif, un intellectuel torturé
fasciné par la tranquille sérénité des imbéciles.
La confusion, au fil des ans de plus en plus complète, entre l'auteur des
livres et l'acteur des aventures contribue pour beaucoup à faire du commissaire
un rébus psychologique. Le nom San-Antonio, depuis la parution de "y a-t-il
un Français dans la salle ? " (210), désigne en effet trois personnes
distinctes : l'auteur (fictif) des aventures, l'auteur (fictif) des romans, l'auteur
(réel) des mêmes romans et de quelques autres qui ne mettent pas
en scène le commissaire. Cette confusion atteint son paroxysme dans "faut-il
tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ? " (213), roman
dont le personnage principal est un écrivain à succès, qui
réside en Suisse, qui souffre d'une infirmité au bras gauche, et
dont la fille est kidnappée…, tous éléments à rapprocher
de la biographie de l'auteur "réel", Frédéric
Dard.